Le crowdfunding au service des auteurs
Comment les auteurs peuvent-ils tirer parti du financement participatif ? Mieux que l'auto-édition, le crowdfunding permet de communiquer, tout en collectant de l'argent, et tout en anticipant les tirages de son livre.
Nous décortiquons l'exemple de la BD : analyse du marché actuel de la BD et témoignages d'auteurs ayant opté pour le financement participatif.
Ce que vous allez apprendre dans cet article :
- les raisons de proposer son livre en crowdfunding
- quels sont les types de livres qui fonctionnent le mieux en crowdfunding
- comment le crowdfunding s'intègre dans "l'économie" de l'auteur
Le crowdfunding, alternative à l'auto-édition ?
Comme nous le racontons dans la petite histoire du crowdfunding, il y a un lien ancien entre le monde du livre et l'idée de souscription, que renouvelle le principe du crowdfunding : de la Bible de Gütenberg aux poèmes d'Apollinaire, les exemples abondent !
Il y a en effet quelque chose d'assez logique à proposer son livre en pré-commande, pour trois raisons :
- commencer à communiquer sur la sortie de son prochain livre
- récolter les fonds nécessaires - entre autres - à l'impression
- mieux anticiper le tirage à lancer : beaucoup de souscriptions = tirage important, et inversement
Sur Ulule, des milliers d'auteurs et d'autrices ont financé l'impression et le lancement de leurs livres. Ils en ont aussi perçu des droits d'auteurs importants.
Quelles sont les catégories de livres les plus vendus en souscription ? Pour quels auteurs le crowdfunding est-il adapté ?
- pour la BD bien sûr, nous vous en parlons plus bas
- pour les beaux livres (photo, illustration etc.)
- pour les essais : fonctionne bien car le thème de l'essai permet de faire une "accroche" spécifique
- c'est un peu plus difficile pour le roman ; le fait que la fiction ne permette pas (contrairement aux essais) d'embarquer les contributeurs sur un sujet donné rend l'exercice un tout petit peu plus difficile... Il y a ceci dit beaucoup d'exemples réussis, et tout est bien sûr (aussi) une question d'objectifs en nombre de préventes
L'exemple des auteurs et autrices de BD
Le marché de la bande dessinée est un secteur qui connaît un fort succès ces dernières années. Mais malgré la croissance du secteur, on observe une grande précarité chez les auteurs. Serait-il temps de remettre en question, au moins partiellement, la chaîne du livre traditionnelle ?
Les publications dans la BD : multiplication dans les années 2000
5 305 BD ont été publiées en 2016, selon le bilan annuel de l'ACBD. Un chiffre impressionnant, surtout si on le compare aux 1 963 BD publiés en 2000. Et même si ce chiffre semble se stabiliser depuis 2012 (avec des baisses en 2013 et 2015), une telle croissance en l’espace de quelques années reste incomparable dans le milieu de l’édition.
Plus d’albums publiés et donc plus de chances pour un auteur de voir sa BD dans les rayons des librairies, plus de diversité dans le choix éditorial, 39 millions de BD vendues en 2015, 459 millions de chiffres d’affaires...
Le secteur de la bande dessinée semble jouir d’une santé étonnante. Preuve en est l’évolution des maisons d’édition du secteur : « Le chiffre d’affaire des maisons d’édition a été multiplié par plus de cinq au cours de ces vingt dernières années » explique Benoit Berthiou dans son ouvrage Éditer la bande dessinée.
Auteur de BD : un métier précaire ?
Pourtant, parallèlement à ce succès, les auteurs de BD ne semblent pas profiter de la croissance du secteur.
L’enquête menée par les États Généraux de la Bande Dessinée en 2015 a mis en relief cette précarité latente qui touche les auteurs de BD : 53% d’entre eux se considèrent comme « précaires », 71% sont dans l’incapacité financière de vivre uniquement de leur art et sont obligés d’avoir un emploi parallèle (le chiffre monte à 76% chez les femmes). Toujours selon cette enquête, ils sont 53% à vivre sous le SMIC annuel brut et 36% sous le seuil de pauvreté.
À cela s’ajoutent des conditions de travail éreintantes (ils sont 36% à travailler plus de 40h par semaine et 37% à travailler tous les week-end), une protection sociale quasi inexistante (88% n’ont jamais bénéficié d’un congé maladie, 81% n’ont jamais bénéficié de congés parentaux), et une vision du futur pessimiste puisqu’ils sont 66% à penser que « la situation va se dégrader pendant les prochaines années ».
Un tableau très noir des conditions de vie des auteurs de BD qui tranche avec les chiffres sur la croissance du secteur. Comment expliquer ces difficultés ?
La multiplication des publications a considérablement fait baisser la vente moyenne par titre, et par conséquent les revenus des intervenants, dont l’auteur. Difficile d’être visible et de trouver son public parmi plus de 5000 sorties. La rotation trop rapide en librairie laisse peu de visibilité et de place pour tous. Compliqué également pour le lecteur de suivre le rythme effréné de ces sorties alors que son budget n’a que très peu évolué.
« On publiait environ 700 albums en 1994 ; on en a produit plus de 5000 en 2014. Certes, le chiffre d'affaires global de la bande dessinée a augmenté, mais dans des proportions qui n'ont rien à voir.[...] Si le nombre d'albums n'a cessé d'augmenter, le public est loin de s'être élargi dans les mêmes proportions. [...] Son économie est fragilisée par une offre qui dépasse largement la demande. Le résultat, nous le connaissons : des auteurs précarisés, des éditeurs fragilisés, des libraires débordés, des lecteurs désorientés. » Benoit Peeters, Ces menaces qui pèsent sur la bande dessinée, Le Figaro février 2015
Au vu des chiffres publiés par les bilans de l’ACBD, on observe que la montée folle de la courbe des parutions semble se stabiliser depuis 2012. Prise de conscience ou nécessité vitale pour le secteur, le milieu de la BD semble s’accorder sur les effets néfastes de la surproduction.
Comment, dans ce contexte, le crowdfunding est-il utilisé par les acteurs de la BD ?
C’est dans ce contexte compliqué que le crowdfunding a trouvé petit à petit sa place. Il n’est finalement que la version digitale de la populaire souscription que les artistes connaissent bien, et ce depuis toujours. Sans dévorer le marché, le financement participatif fait son petit bout de chemin. Il est devenu une possibilité de plus en plus utilisée, que ça soit pour les maisons d’édition ou pour les auteurs.
Sur Ulule, les chiffres sont représentatifs de cette croissance. En 2014, 146 projets BD ont été financés, en 2016 il y en a eu 316. (chiffres non mis à jour mais les années suivantes ont vu un agmentation exponentielle ! comme vous le verrez sur la rubrique bandes dessinées, très très active ; ça imprime sec !)
Y a-t-il un rapport entre la baisse des publications par le biais traditionnel et l’augmentation de l’auto-publication via les plateformes de crowdfunding ? Difficile d’affirmer une telle corrélation tant le phénomène est encore nouveau. Mais que ce soit Etsy, Ulule ou bien d’autres, il semblerait que les auteurs soient toujours plus à la recherche de pratiquer et de diffuser leur art via de nouveaux canaux.
Maliki en témoigne dans un long strip qui dépeint le marché actuel de la BD et son envie d’auto-production via le participatif :
« Si je continue à jouer le jeu du système actuel, je ne vous cache pas que je vais droit dans le mur, à court terme. [...] J’ai donc pris la décision de tenter autre chose : alors non, je n’arrête pas la BD, au contraire ! Je vais m’y impliquer plus que jamais mais désormais, ce sera directement de vous à moi. »
En octobre 2016 l’illustrateur passe par Ulule pour prévendre le livre tiré de son blog. Le succès est au rendez-vous avec 8527 préventes.
« Ce sont de formidables outils pour financer des projets avec l’aide du public. Ce qui est génial c’est qu’au lieu qu’un mec penché sur des colonnes de chiffres dans son bureau, ait le droit de vie ou de mort sur un projet… c’est un système démocratique qui choisit lequel mérite ou non d’être réalisé… c’est le public qui décide de ce qu’il veut voir ».
Un autre porteur de projet, Christophe Andrieu, dans un billet de blog très informatif sur la réflexion autour de l’auto-édition, en ressort avec la même impression sur le participatif, celle de plus de liberté et d’un avantage financier dû à la baisse des intermédiaires :
« En zappant des intermédiaires, en se chargeant d’une partie du travail et en utilisant habilement les outils (peu onéreux) offerts par le web, on peut grossir logiquement la part de bénéfice revenant à l’auteur sur un livre. [...] Et on jouit en contrepartie d’une totale liberté, notamment éditoriale ».
Le secteur est donc en plein bouleversement avec une surproduction aux conséquences multiples, ainsi que l’apparition de canaux proposant de nouvelles opportunités aux auteurs de BD.
Toujours plein de ressources, les auteurs de BD ont trouvé dans le numérique des moyens d’allier passion et travail, rémunération et dessin, stabilité et projets personnels.
Le participatif devient « une autre possibilité, un autre modèle » avec cet avantage du contact direct avec le public. Pour autant, il est également sujet à des questionnements. Quels sont les nouveaux enjeux des auteurs en passant par le crowdfunding ? Réponses dans cet article : Le crowdfunding et la BD : avantages & problématiques